Частное образовательное учреждение дополнительного профессионального образования «Институт арт-бизнеса и антиквариата»

𝒜NNO 2010
Защита подлинности
Международная конфедерация антикваров и арт-дилеров (МКААД)



Идет набор по программам: «Искусствоведение. Атрибуция и экспертиза предметов антиквариата», «Арт-менеджмент: галерея, коллекция и арт-рынок», Субботняя программа «Эксперт художественного рынка», «Судебно-искусствоведческая экспертиза», «Оценка движимых культурных ценностей», «История искусств: стили, подлинники, коллекции»

Русская версия / Version Française

Mon enfance
Toi qu`à présent nul interdit n'effraie
Tu restes accrochée au tain de ce miroir
au tain de ma mémoire
Fragile comme ces reflets d'eau
Réinventée aux songes de mes nuits
Libre enfin
Mon enfance perdue.
Élisabeth Oulès

Cher lecteur, chère lectrice,

Nous offrons à votre attention ces quelques pages de réflexions et précisions inspirées par la conférence sur le dadaïsme « Injurier la beauté » du mercredi 12 juillet 2017
à la Galerie d'Art Au coin de la Rue de l'Enfer
à Saint-Etienne les Orgues (Alpes de Haute-Provence), France
dans le cadre de l'exposition Dada 1917 – 12 juillet/27 août 2017

1ère partie par Frédérique Verlinden, Conservateur du Musée de Gap (05)
«Dessine-moi un mot, écris-moi un dessin...»:
Evocation de l'histoire de Dada et portrait de Tristan Tzara. L'esprit Dada aujourd'hui.

2ème partie par Jean-Marie Gleize, écrivain, directeur de la Revue littéraire et philosophique « Tel Quel »
«Dada soupçon mortel»:
Contexte historique et actualité de Dada. Ses prolongements dans la vie littéraire dans la seconde moitié du XXème siècle.

3ème partie par Franck Daquin, comédien
« Comment je suis devenu charmant, sympathique et délicieux » (Tristan Tzara)
Lecture d'extraits de poèmes de Tristan Tzara

Dada et la révolution du regard

Nous sommes en 2017. Il y a aujourd'hui cent ans, deux évènements majeurs de la civilisation du vieux monde – la révolution russe de 1917 et la guerre de 14/18 en Europe - ont trouvé chez les intellectuels, les créateurs, les poètes, par une révolution du regard et une grande radicalité en Russie tout d'abord avec les Suprématistes, et en Europe ensuite avec Dada, un équivalent dans le monde sensible et celui de la pensée.

Une vision nouvelle, éclatée, libérée et la remise en cause radicale des valeurs esthétiques occidentales ont ensuite produit un grand nombre de mouvements dont l'abstraction en peinture a peut-être été le plus grand bénéficiaire.

Constructivisme et suprématisme

Kandinsky, dès 1910 avait produit la première œuvre abstraite dans les circonstances anecdotiques que l'on connaît, mais c'était en Allemagne ; et c'est avec les Suprématistes russes que l'abstraction a été - dans un esprit géométrique il est vrai - au bout de la radicalité dialectique.

Malévitch, Tatlin, El Lissitsky, ont mené l'esprit d'abstraction à ses plus ultimes conséquences. Malévitch en particulier a introduit une nouvelle esthétique, c'est-à-dire une nouvelle vision du sujet, davantage que le « modernisme » dont le dévelopement était plutôt celui des idées. Les Suprématistes changent en nous la compréhension du monde ; ils ouvrent une nouvelle psychologie, introduisant une plus grande typologie que celle qui divise l'art figuratif et l'abstraction.

Les deux évènements - artistique et social – ont été simultanés. Il est important de considérer qu'il n'y a pas de présence des évènements dans cette situation. La révolution est une révolution des mentalités et elle a deux facettes.

nůn - Maîtres – Lazar Lissitzky

Constructivisme et Suprématisme sont liés à la personnalité de Casimir Malévitch. Autant les mouvements allemands et français s'étaient établis clairement dans le rôle de la couleur, autant ceux de Moscou quelques années plus tard s'articulèrent autour d'éléments différents : une géométrie rythmique, la ligne comme indication des forces et de la dynamique. Les éléments de l'Art, pour les signataires du Manifeste Réaliste de 1920 « ont leur base dans la rythmique dynamique ».

Kazimir Malevich
Suprématisme, 1915

Bien que Malévitch ait été « fauve » puis cubiste à ses débuts, le Suprématisme et le Constructivisme qui en est un prolongement, ont été des mouvements vers l'abstraction pure. Le Suprématisme apparaît en 1915 lorsque Malévitch proclame la « souveraineté de la forme abstraite limitée au carré, au rectangle, au cercle et à la croix ». Et cette attitude absolue, voire nihiliste, s'applique aussi au domaine de la couleur puisque dès 1918, il se trouve amené à peindre un tableau à partir duquel toute l'histoire de la peinture se trouve remise en question : le « carré blanc sur fond blanc ». A partir de cette oeuvre limite, limite même de la peinture comme langage, Malévitch se tourne vers d'autres modes d'expression du plasticien : la sculpture, l'architecture, l'objet industriel. Il consigne en de volumineux écrits ses idées concernant le rôle nouveau du peintre : « le monde sans objet » paru en 1922. Ce gros livre exprime au-delà du nihilisme l'utopie de l'idéologie sociale, mais aussi l'utopie d'une abstraction absolue qui s'est fixé l'objectif de vouloir délivrer totalement la peinture de ses références avec l'objet.

Introduction au mouvement Dada

Durant la Première Guerre mondiale, en Suisse à Zürich, le mouvement d’avant-garde Dada s'est formé autour d’un groupe d’artistes, d’écrivains, de musiciens cosmopolites réfrac­taires à la guerre et au système culturel et social qui y a conduit.

Ces artistes ont décidé de mener une critique radicale de la civilisation occidentale, proclamant un mépris ravageur face aux valeurs en place, rejetant l'ancienne logique des lumières, refusant toutes les conventions et contraintes idéologiques, artistiques et politiques considérées comme fausses, et projetant de faire, à l’image du jeune Marx, « la critique implacable de tout ce qui existe ».

Comme l’affirme Tzara dans le Manifeste de 1918, Il s’agit de faire table rase du passé : « Le fond de tout art » consiste à tout détruire, tout balayer : « il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir ».

Tristan Tzara
Poète et écrivain roumain

Les dadaïstes auront recours au rejet de la raison et de la logique, du jeu des convenances et des conventions, à la dérision et l’humour, afin d’accomplir leur projet. Ils adoptent systématiquement pour cela une posture irrespectueuse et extravagante vis-à-vis du passé. Bien loin des traditions ils cherchent dans l’appropriation de nouveaux outils, une source d’émergence de nouvelles images, de valeurs plastiques et verbales. Ils privilégient, dans ce but de destruction le hasard, l’automatisme, les objets trouvés mais aussi l’instant créateur.

Cette volonté de destruction chez Dada fonde la différence radicale entre lui et les modernistes de l'art de l'époque : cubisme, expressionnisme et autres «ismes» qui ne sont que simples laboratoires d’idées formelles.

C’est précisément pourquoi Dada seul existe et non le dadaïsme, illustrant sa volonté et son exigence d’autonomie dans l’art.

Le hasard dadaïste

Le recours systématique au hasard dans l’oeuvre opéré par Dada, pose les fondements mêmes d’une généalogie du hasard dans l’art.

Jusqu’à Dada certaines traditions remontant à Platon et Aristote étaient demeurées inchangées. Jusque là l'art procède d'un développement concerté, d'un principe d'inspiration, de la volonté ou un acte d’expression mais sûrement pas du hasard qui en est son opposé.

De par l'utilisation du fortuit et de l'aléatoire, les dadaïstes pour la première fois « se jetèrent tête baissée contre cette barrière millénaire ». Le hasard devient alors cet outil qui va permettre la réalisation de la critique fondamentale qu’envisage Dada. Il permet surtout le rejet de cette rationalité, qui par son application industrielle vient de doter l’humanité d’un pouvoir de destruction dont toute l’horreur s’est manifestée dans la guerre de 1914-1918.

Le hasard est ainsi érigé en premier principe d’un anti-art, art de l’absurde et du non sens. « Plus d’inspiration, d’intention créatrice, d’esquisse préparatoire et de plan, le hasard devient la source même de la création. ». En recourant délibérément au hasard, en l’invitant dans l’acte créatif, l’artiste cherche une forme d'aléatoire, de non maîtrise et de spontanéité vis-à-vis du résultat.

Bien avant que le mot « dada » ne soit prononcé à Zurich en 1916, « l’esprit dada », existait déjà à Paris et à New York dans les activités de Marcel Duchamp, Man Ray, Francis Picabia, ou encore chez le poète Jacques Vaché.

Marcel Duchamp en particulier, par sa volonté de bouleverser la rationalité, les conventions, de détruire les tendances et techniques immémoriales de la peinture, avait anticipé sur la démarche de Dada.

L'abstraction historique

Il n'aura donc pas fallu attendre le XXème siècle pour voir se manifester l'esprit abstrait en peinture. Nous voyons au contraire dans quelle mesure les protagonistes de l'abstraction historique à ses débuts (Kandinsky, Malévitch, Delaunay, Mondrian)

ont effectué une sorte de retour au primitivisme en ramenant les questions de la peinture sur des bases nouvelles plus proches de la syntaxe picturale. Cette volonté de repartir sur de nouvelles bases esthétiques se traduisit alors par la vibrante question « Par quoi remplacer la logique figurative ? »

Jaune - Rouge - Bleu - Vassily Kandinsky

Mais l'abandon du sujet dans la peinture n'avait pas que des mobiles esthétiques. Il y avait en outre des causes philosophiques, scientifiques, politiques et religieuses. La fin du XIXème siècle a vu l'écroulement d'un certain nombre de valeurs sociales, valeurs qui depuis le siècle des lumières étaient des certitudes, la notion même de réalité ayant été ébranlée par certaines découvertes scientifiques notamment par celle de l'atome et de la division à l'infini de la matière. L'art ne peut plus avoir pour fonction d'imiter un monde qui n'avait que peu de réalité philosophique.

Wassily Kandinsky est venu à l'abstraction par la couleur. Pour lui la tentation de la couleur pure s'accommodait mal de la manipulation des formes réelles, de leur contour, de leur définition ou de leur perspective : Pour lui les couleurs étaient l'expression de la nécessité intérieure.

Malévitch comme Tristan Tzara ont cassé les codes et ouvert le regard. Au bénéfice de quoi ?

Ils avaient tous deux l'ambition d'accéder à une nouvelle réalité esthétique et plus largement à une nouvelle idéologie en art : Détruire mais pour reconstruire. Et malgré ses positions critiques en tant que résistant, même au communisme dont il a fait brièvement partie, Tzara qui s'est insurgé contre les événements de 1956 a gardé ses distances en tant que poète et écrivain avec la politique. Contrairement à certains écrivains de son époque qui se servaient de la poésie à des fins politiques, il revendiquait une « poésie purement poétique ».

Héritage

Y a-t-il eu un prolongement historique du Suprématisme ? De Dada ? S'il n'y a pas eu à proprement parler de prolongement du Suprématisme dans son propre pays, la raison en est sans doute l'intervention de l'Etat dans la Culture. En effet, le formalisme était interdit en Russie Soviétique. C'est plutôt à l'étranger que ces mouvements ont trouvé une continuation : chez De Stijl en Hollande, et avec Mondrian et quelques autres peintres et sculpteurs de la géométrie. On peut ainsi voir ces deux mouvements, suprématistes et Dada, comme des étapes de l'abstraction du XXème siècle. Une autre raison, plus profondément esthétique est que des tableaux comme le « carré blanc sur fond blanc » de Casimir Malévitch constituent incontestablement des impasses ontologiques.

Quant à Dada il connaît des prolongements chez certaines personnalités particulièrement non-conformistes comme Marcel Duchamp, Man Ray, Francis Picabia. Sont aussi héritiers de «Dada» des mouvances et manifestations artistiques parfois provocatrices comme «Fluxus », le Body Art,

John Cage en musique et de nombreux poètes en Europe dans les années 70. L'avant-garde musicale des années 60 et les mouvements dans les arts plastiques comme le Land Art, l'art conceptuel, l'art gestuel et automatique, doivent aussi beaucoup à l'esprit Dada.

Voir l'abstraction !

Ouvrir le regard, accéder à une plus large compréhension, bousculer les codes établis... pour quoi faire ?

Pour les artistes de ce temps il s'agissait d'accéder à une réalité considérée jusqu'alors comme invisible. L'art abstrait ouvre le regard sur ce que l'oeil n'a jamais rencontré.

Dans l'histoire, vers 1910, les peintres ont éprouvé un sentiment de libération à l'irruption de l'art abstrait. Ils n'avaient plus besoin d'un prétexte figuratif pour poser une couleur ou un jeu de lignes. L'abstraction a ainsi été considérée comme une chance pour le peintre. Aucune association avec le domaine du connu ou du concret n'est plus nécessaire. L'amateur voit une peinture abstraite comme il écoute la musique c'est-à-dire sans chercher à comprendre, à relier, à identifier. Il se satisfait d'un jeu purement formel fait de plans, de surfaces, de tensions, de contrastes, de matières, de nuances. Et considérer ensuite le tableau abstrait comme un monde abouti et complet.

Nous dirons qu'avec l'irruption de l'abstraction pure en peinture le langage de la peinture devient plus pictural, se rapproche encore de la singularité du langage pictural.

Daniel Lacomme

Vers le futur

La compréhension de l'art abstrait aujourd'hui en Russie est indispensable à la culture de tous. Mais elle est affaire d'approche personnelle. Elle peut en cela représenter un effort. Au-delà des goûts individuels, l'abstraction constitue une étape incontournable. Etant sans contexte « explicatif » ni littéraire, sémantique, thématique, politique ou simplement anecdotique, une œuvre abstraite se regarde pour ce qu'elle est : un jeu de formes libres et de couleurs sans prétexte. Elle s'adresse à la disponibilité de notre regard et à notre sensibilité, d'une façon nécessairement individuelle.

L'esprit d'abstraction n'étant pas lié à une époque mais plus profondément à une manière de penser qui a toujours existé, étant ainsi moins existentiel mais plus essentiel, l'art abstrait est un art toujours vivant.

Dans l'évolution historique de l'Art et de la peinture en particulier ce sont des personnalités qui ont fait progresser les styles et la vision. Monet, Gauguin, Cézanne ont « fondé » le XXème siècle. Les deux révolutions artistiques historiques qui nous occupent ici ont opéré, en raison de leur radicalité spectaculaire - exprimée dans leurs manifestes en particulier - ce qui constitue un équivalent à ces progrès individuels.

Enfin politique et art doivent être distingués dans toute culture. Toute forme d'orientation des artistes dans leur style comme dans leurs thèmes est néfaste. Depuis les temps les plus reculés les œuvres qui sont sorties sous l'influence de l'Etat ou sous celle des idéologies sont restées objet de propagande, et cantonnées dans un statut historique et même social. Les œuvres au contraire qui sont créées en toute liberté restent hors du temps.

Daniel Lacomme et Tatiana Andreeva